lundi 8 juin 2015

Pivoines


"Je n'ai pas d'imagination, 
juste des bons souvenirs que je ne cesse de créer."




Ouvrir la porte-fenêtre, regarder dehors, la verdure, le jardin, entendre le bruit des chants d'oiseaux, apercevoir mon ami l'écureuil ponctuel, chaque jour présent à la même heure. Marcher librement, après une nuit compliquée, un sommeil fracassé par les angoisses, un début de semaine sans trop d'espoir, un ordinateur ouvert, un téléphone allumé, un silence de messages en attendant un nouveau travail.


Heureusement le soleil chauffe ma peau, le parfum des pivoines s'envolent, m'enveloppe dans un tourbillon succulent de légèreté, de douceurs olfactives, de bonheurs évaporés. J'aime plus que tout, ce moment de l'année, cette force du souvenir, de mon adolescence, de mes doutes déjà forts, de mon pouvoir personnel, celui d'une jeunesse en ébullition, des questions souvent sans réponses face au monde des adultes, une conversation à sens unique. Déjà je voyais, je ressentais avec force certaines évidences, certains détours du bon sens, certaines impossibilités face à mon regard, face à leur façon définitive de me l'expliquer. Un décalage, peut-être, un moment de recueillement, un banc, de l'attente, un train dans une gare, plutôt une station vide, une ligne quasi déserte, et déjà ce soleil de printemps. Les parfums, des fleurs, une allée de pivoines d'un ex-chef de gare parti depuis que les volets étaient restés clos définitivement. Elles embaumaient ce lieu triste, du macadam usé, du béton fissuré, des abords sales et gris, rien, sauf ces rayons chauds, ce vent léger, les rails et les parfums autour de moi. Je me gonflais de ce tout, de ce vide, de mon attente, de ce train en retard, pour aller au lycée, pour voir les copains, une copine, les profs. Juin, ce début de mois où l'on attend justement plus rien, les jeux étant faits, les choix aussi, l'année prochaine, les vacances, le silence et ce paradoxe. Elle, lui dire que je l'aime avant qu'elle ne parte sur les plages, je ne sais où, mais aussi ne rien lui dire, rester là sous le soleil, dans mes rêves, avec mes mots. Répétés, inutiles, peu convaincants, et pourtant mon coeur battait à chaque fois plus fort, en la voyant, elle et ses baskets, sa jupe courte, ses cuisses, son pull d'été avec un col en V, ses cheveux légers, sa main d'un geste souple pour les pousser vers l'arrière, régulièrement comme un combat perdu, comme un signe d'élégance féminine, un détail si séducteur. 





Pourquoi je pense à elle ce matin, sur cette terrasse, ma vie a tant avancé depuis, des souvenirs, un vide, le même parfum, pas le sien, mais celui de ce lieu triste, où seul je pouvais refaire le monde, l'aimer, rougir de mes fantasmes, de mes lèvres innocentes et timides bredouiller encore une déclaration que je n'ai jamais osé faire. Je ferme les yeux, que le monde me semblait empli de doutes alors, aujourd'hui encore. D'autres raisons, d'autres douleurs, ce parfum sublime, entêtant.

Il ne manque qu'un banc.


Mots & Emotions

1 commentaire:

  1. comment faites-vous pour visiter l'intérieur des gens ? continuez !

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J'écris, je partage des émotions et des visions esthétiques ... et si vous donniez quelques mots en retour (impression, critique, ressenti, envie ...) ?